Par AUDE LE GENTIL
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— La France, championne d’Europe du gaz russe
— Programmation énergétique : des risques juridiques sur la voie réglementaire
— Pas d’obligation à la réno pour les logements sociaux
Bonjour à toutes et à tous, nous sommes jeudi 11 avril. Votre infolettre vous l’annonçait hier, et le ministre le confirme ce matin dans Le Figaro : il n’y aura pas de “loi cathédrale” sur l’énergie. En matière de programmation énergétique, il reprend les grands arbitrages esquissés par le président à Belfort et ajustés par Agnès Pannier-Runacher l’année dernière et les fera passer par décret, avant la fin de l’année.
En attendant, le ministre veut discuter “des choses concrètes” : nombre de mâts d’éoliennes en mer, répartition des éoliennes sur terre, amélioration de la puissance des existantes… Il le fera dans le cadre de la concertation organisée sous l’égide de la Commission nationale du débat public, qui devrait être saisie cette semaine, promet-il. La consultation durera “deux à trois mois”, précise Roland Lescure dans l’article, qui liste les objectifs de la nouvelle programmation pluriannuelle de l’énergie.
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SUR LE PODIUM. La France est le pays européen qui a le plus importé de gaz naturel liquéfié (GNL) russe depuis le début de l’année, selon des données analysées pour POLITICO par le Centre pour la recherche sur l’énergie et la propreté de l’air (CREA en anglais), un think-tank finlandais.
Dans le détail, la France a importé 1,5 million de tonnes de GNL en provenance de Russie au premier trimestre 2024, pour plus de 600 millions d’euros, soit plus qu’aucun autre Etat membre. La France est aussi le pays dont les achats de gaz russe ont le plus augmenté par rapport à l’année dernière, sur la même période.
La raison : le groupe TotalEnergies, lié par un contrat de longue durée avec Yamal, une entreprise de liquéfaction de gaz basée en Sibérie. Celui-ci prévoit que l’énergéticien tricolore importe au moins 4 millions de tonnes de GNL par an jusqu’en 2032.
Aucune sanction européenne ne s’impose sur le GNL russe, notamment à cause de l’opposition de la Hongrie, qui en est très dépendante. Mais à l’heure où le président Emmanuel Macron durcit sa position envers la Russie de Vladimir Poutine sur le plan militaire, ces emplettes passent mal auprès de ses partenaires européens.
“La France ne peut pas d’un côté dire que nous devons être durs avec la Russie, et de l’autre lui donner plein d’argent”, s’insurge un diplomate d’un Etat membre, interrogé par mon collègue Victor Jack.
Dans les clous. Contacté par POLITICO, un porte-parole de TotalEnergies explique que l’entreprise est en accord avec les règles européennes en vigueur et “ne fait pas de lobbying contre les sanctions”.
A Bercy, on reconnaît que le sujet n’est pas simple, mais on plaide pour le respect des contrats existants. “Si c’est pour continuer à payer pour du gaz qu’on n’importe pas, ça n’aurait pas de sens”, indique-t-on au ministère.
Dans la suite du classement des pays les plus friands de gaz russe : la Belgique, l’Espagne et les Pays-Bas. Ces trois pays ont tous indiqué qu’ils seraient prêts à réduire leurs importations, mais seulement dans le cadre d’une action conjointe avec Paris. Mon collègue bruxellois Victor Jack vous en dit plus dans cet article explosif.
Aujourd’hui, voyage du Premier ministre au Canada en compagnie, entre autres, du ministre de l’Energie et de l’Industrie, Roland Lescure, et de dirigeants d’Orano, Air Liquide et Lhyfe.
A 10 heures 30, auditions de Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique, puis de Stéphane Séjourné, ministre des Affaires étrangères, par la commission d’enquête sénatoriale sur TotalEnergies.
SANS LOI, RIEN NE VA. Adopter la voie réglementaire pour la programmation énergétique n’est pas sans risques juridiques. “On ne peut pas passer par décret”, met en garde l’avocat Arnaud Gossement, interrogé par mon collègue Arthur Nazaret. “En novembre 2019, le Parlement français a décidé dans le cadre de la loi Energie-climat que cela relevait du domaine de la loi.”
Ironie de l’histoire, c’est la majorité présidentielle qui avait ajouté cette obligation dans la loi. Un influent député macroniste lâche, dépité : “L’absence de loi n’a pas de conséquence grave vis-à-vis du grand public, ça en a un peu plus sur la crédibilité de la représentation nationale.”
Coup de froid. Ces décrets feront inévitablement l’objet de recours auprès du Conseil d’Etat, prédit encore Arnaud Gossement. “Il y aura toujours un mécontent”, avance-t-il. Ce qui risque de refroidir les développeurs. “Pendant toute la durée du recours, il y aura une épée de Damoclès au-dessus de leur tête”, pointe le spécialiste en droit de l’environnement et de l’énergie.
RÉNOVATION ÉNERGÉTIQUE |
NOUVEAU TROU POUR LES PASSOIRES. Sans surprise, le gouvernement va exempter les logements sociaux français des obligations de rénovation énergétique imposées par la directive européenne sur l’efficacité énergétique. Il le signale au détour de la concertation sur sa transposition.
Ce n’est pas une surprise, parce que la Fédération européenne du logement social avait poussé pour l’inscription de cette dérogation et l’avait obtenue avec l’appui de la France. Le texte impose aux Etats de réhabiliter chaque année au moins 3% de leur surface de bâtiments publics pour atteindre le niveau “basse consommation”.
Ce n’est pas un renoncement mais une “souplesse” promet Laurent Ghekiere, le directeur des affaires européennes de l’Union sociale pour l’habitat, qui fédère les organismes HLM français. “Il ne faut pas obliger à rénover si on n’a pas auparavant les financements suffisants”, ajoute-t-il, au risque que le coût de cette rénovation ne pèse directement sur les loyers des habitants.
“Dommage”, répond Etienne Charbit du Cler, association mobilisée sur la transition énergétique, rappelant que 8,1% des logements sociaux sont des passoires thermiques. Il craint que cette exemption n’entraîne un ralentissement des rénovations. Laurent Ghekiere assure que le secteur met les bouchées doubles pour réhabiliter les 380 000 logements sociaux classés F et G avant leur interdiction à la location prévue en 2028 par la loi Climat et résilience.
3 milliards d’euros
C’est ce qu’EDF aura investi sur la construction des six nouveaux réacteurs nucléaires d’ici la fin de l’année, a annoncé au Sénat son patron Luc Rémont. Et ce, alors que les travaux n’ont pas encore commencé à Penly (Seine-Maritime), sur le site qui accueillera les deux premiers réacteurs.
DIPLOMATE PAR ESSENCE. Si vous prévoyez de zapper les auditions de Christophe Béchu et de Stéphane Séjourné, ce matin devant la commission d’enquête sur TotalEnergies, votre infolettre est prête à parier qu’elles ressembleront fortement, pour l’une, au passage de Bruno Le Maire du 4 avril et, pour l’autre, à celui de Jean-Yves Le Drian le 25 mars.
Le Quai, côté station-service. L’ancien ministre a décrit le rôle de la diplomatie française comme un “soutien de nos entreprises, y compris dans des régions instables”, résume l’équipe de Yannick Jadot, le rapporteur écolo de la commission, qui se demande si la position a changé. Et puisque Bruno Le Maire a déclaré que “si on veut décarboner Total, il faut d’abord décarboner le transport en France”, son homologue de la Transition écologique devra détailler comment le gouvernement compte s’y prendre.
Un peu déçue… Entre la réserve imposée à Yannick Jadot sur la question russe, à cause de la la plainte de TotalEnergies contre lui, et la liste des auditionnés et les questions des sénateurs qui brassent très large, la commission d’enquête manque d’énergie aux yeux de votre serviteure. Deux ONG que nous avons sondées ne boudaient pas pour autant la médiatisation du sujet qu’elle permettait.
— Il n’y a aucune éolienne en Indre-en-Loire. Une exception dans une région bien pourvue, sur laquelle s’est penchée La Tribune.
— En altitude, les bâtiments se fissurent et s’affaissent de plus en plus vite sous l’effet de la fonte du permafrost. Le Monde décrit ce défi d’adaptation pour les stations de ski.
— Mon collègue bruxellois Tommaso Lecca fait le point sur les efforts, encore laborieux, de l’aviation pour se décarboner.
Un grand merci à notre éditeur Alexandre Léchenet.