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En Russie, des néonazis bien utiles à Vladimir Poutine

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En Russie, des néonazis bien utiles à Vladimir Poutine

Certaines idées reçues voudraient que l’extrême droite radicale soit apparue en Russie après la déstabilisation politique et économique provoquée par la chute de l’Union soviétique en 1991. En réalité, sa cristallisation remonte au début des années 1980, quand se diffusent des récits faisant des Russes les meilleurs descendants de la race aryenne. Issue de la nébuleuse Pamiat (« mémoire »), qui s’est fait connaître par une campagne affirmant que l’alcoolisme était le fruit d’un complot juif visant à organiser un génocide des Russes, l’Union nationale russe est fondée en 1990. 

Elle attire de jeunes skinheads issus des classes populaires, avant tout motivés par leur hostilité envers les étrangers. Son folklore néonazi ne l’empêche pas de rassembler environ quinze mille membres, devenant ainsi la première organisation radicale de droite de la décennie.

Sa violence antisémite et xénophobe est plutôt bien tolérée par le Kremlin, et il arrive à ses militants de patrouiller avec les forces de l’ordre, jusqu’à ce que le mouvement critique le pouvoir – à propos des accords de paix mettant fin à la première guerre de Tchétchénie, en 1996. Le maire de Moscou, Iouri Loujkov, lance dès lors des attaques contre « la menace fasciste », qui annoncent le début de la fin de l’Union nationale russe. 

Lors d’une manifestation nationaliste contre l’immigration illégale à Moscou, le 1er mai 2008. © Photo Sergei Chirikov / EPA via MaxPPP

De nouvelles organisations prennent sa suite, en particulier la Force slave et l’Union slave, qui ont pour point commun que leur acronyme en russe s’écrit « SS »… Une autre formation, la Société nationale-socialiste, a tenté de professionnaliser les crimes racistes à travers une planification d’homicides qui a fait vingt-sept morts avant l’arrestation de ses membres en 2008.

C’est en effet vers 2007-2008 que le mouvement skinhead a vécu son pic. Quoique ces jeunes hommes se situent dans une marge sociale, leurs actions rencontrent un écho : 58 % des sondés russes estimaient en 2002 que les skinheads faisaient le « sale boulot » en lieu et place de l’État.

En 2005, une organisation antiraciste américaine a estimé qu’avec environ 60 000 skinheads d’extrême droite, la Russie détenait la moitié du contingent mondial. Le prix en est élevé : au cours de la période 2004-2014, la violence d’extrême droite a coûté la vie à 496 personnes, pour la plupart dans les plus grandes villes de Russie, Moscou et Saint-Pétersbourg en premier lieu. 

En conséquence, les autorités russes ont intensifié leur politique répressive. De nombreux militants radicaux ont été arrêtés, certains se sont suicidés avant d’être appréhendés. Néanmoins, le milieu ne s’est pas laissé faire.

L’année 2010 a vu se produire, non loin du Kremlin, un rassemblement de trois mille extrémistes, au prétexte de la mort d’un supporteur de football. Les affrontements ont été vifs avec la police, attaquée par la foule, ainsi qu’autour de la place, où les militants ont été responsables d’un mort (un Caucasien attaqué par une quinzaine de personnes) et de plusieurs dizaines de blessés.

Les liens entre radicaux et hooligans sont d’autant plus forts qu’au-delà de la question internationale de la haine raciale dans les stades, les hooligans russes ont développé un discours contre le « football moderne », mondialisé et mercantile, auquel s’opposerait un football national, sain et pur. 

Provoqué de la sorte, l’État a massivement investi dans la répression, démantèlements et interdictions se succédant : entre 2016 et 2023, 26 groupes néonazis ont été prohibés. 

De l’antisémitisme à la détestation de l’Occident

Les attentats du 11 septembre 2001 et l’invasion de la Crimée en 2014 ont été l’occasion de deux dynamiques différentes. 

Après 2001, comme en Occident, de nombreux groupes ont évolué de la haine antisémite à la défense d’Israël et à la haine des populations de confession musulmane. La nouvelle organisation phare a été le Mouvement contre l’immigration illégale. Il a affirmé son loyalisme envers l’État, assurant ne vouloir qu’aider les autorités à gérer les conséquences de l’immigration illégale. En fait, il a profité de crimes commis par des immigrés pour faciliter des violences racistes. Son implication dans des troubles toujours plus nombreux et importants a fini par mener à son interdiction en 2011.

Néanmoins la tendance persévère, et on voit ainsi poindre une radicalité se rapprochant plus de ce qui se fait entre l’Atlantique et l’Oural : moins de proclamations fascistes et plus de populisme, une ouverture à la dénonciation des « lobbies » LGBT et « woke », etc. Ce renouvellement aide les radicaux à sortir du prolétariat et à attirer à eux des membres des classes moyennes. Il est vrai que l’opposition à l’immigration est magnétisée par la conflictualité ethnique : un sondage de 2017 montrait que si les Russes n’avaient une mauvaise opinion des migrants bélarusses qu’à 13 %, ukrainiens à 19 %, l’hostilité montait à 38 % envers ceux originaires d’Asie centrale et à 41 % pour ceux du Nord-Caucase. 

L’invasion de l’Ukraine a apporté quant à elle un repli du référentiel racial et de l’obsession migratoire, difficiles à manier contre les Ukrainiens, au bénéfice de l’exaltation nationaliste et de la détestation de l’Occident. L’Union nationale russe, qui avait paru liquidée, renaît en se faisant remarquer par son soutien à l’invasion de l’Ukraine. Elle envoie des volontaires servir dans les pseudo-républiques indépendantes russophones. Elle y reprend de l’énergie et n’est désormais plus désignée à la vindicte « antinazie » du Kremlin.

Là encore, les enquêtes d’opinion laissent songer que le créneau est porteur : une étude de janvier 2024 considère que 64 % des sondés russes approuvent l’affirmation suivante : « Le conflit avec l’Ukraine représente une lutte civilisationnelle entre la Russie et l’Occident. »

Mais le gouvernement est souvent considéré comme beaucoup trop timoré dans sa façon de guerroyer, et ces critiques sont venues se joindre à celles de sa supposée mollesse contre la décadence des mœurs ou sa trop faible non-différenciation lors de la crise du Covid (niée ou minimisée par 30 % des sondés russes en septembre 2020), pour ramener nombre de radicaux à se demander si une part de l’État ne participe pas au complot mondialiste. 

En ce qui concerne le maître de cet État, on aura saisi que jamais Vladimir Poutine n’a engagé de « dénazification » de la Russie. Le régime russe ne méconnaît pas l’existence d’une opinion publique, c’est d’ailleurs une des raisons de l’existence de procédures présentées comme démocratiques. Il s’agit donc de s’assurer qu’elle considère que le pouvoir continue de représenter l’ordre, qui plus est un ordre national dans un contexte où cette opinion se méfie de l’étranger, qu’il soit proche (le voisin issu d’une migration) ou lointain (« l’Occident collectif », soit une représentation unitaire négative aussi mythique que l’Occident loué par les réactionnaires occidentaux). 

Conséquemment, à l’égard de ces groupes radicaux, la politique de Moscou est purement utilitariste. S’ils se permettent, par leur agitation, de désigner une faiblesse du pouvoir, ils sont réprimés. S’ils se soumettent à « l’union nationale » autour du chef de l’État, ils peuvent exercer leur influence. 

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